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Une poule sur un mur
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9 mars 2011

L'âge de raison - Jean-Paul Sartre

larry_clark3

Photographie de Larry Clark

Il attendait. Et pendant ce temps-là, doucement, sournoisement, les années étaient venues, elles l'avaient saisi, par derrière; trente-quatre ans. 

[...]

"C'est marrant la jeunesse, pensa Mathieu, au-dehors ça rutile et au-dedans on ne sent rien." Ivich sentait sa jeunesse, Boris aussi, mais c'étaient des exceptions. Des martyrs de la jeunesse. "Je ne savais pas que j'étais jeune moi, ni Brunet, ni Daniel. On s'en est rendu compte après."

[...]

- J'aime bien votre rue, dit Boris, mais à la longue on doit en avoir marre. Ça m'étonne toujours que vous habitiez dans un appartement. 
- Pourquoi?
- Je ne sais pas. Libre comme vous êtes, vous devrierz bazarder vos meubles et vivre à l'hôtel. Vous vous rendez compte? Vous vous installeriez un mois dans une piaule de Montmartre, un mois faubourg du Temple, un mois rue Mouffetard...
- Bah! dit Mathieu agacé, ça n'a aucune importance.
- Oui, dit Boris après avoir rêvé longtemps, ça n'a aucune importance.

[...] 

Elle le fascinait; ce tendre feu qui le dévorait, il ne savait plus si c'était le Mal ou la Bonté. Bien et Mal, leur Bien et son Mal, c'était pareil.

[...]

Il se vit tout entier, béant: pensées, pensées sur des pensées, pensées sur des pensées de pensées, il était transparent jusqu'à l'infini et pourri jusqu'à l'infini.

[...]

"Je ne sais pas souffrir, je ne souffre jamais assez." Ce qu'il y avait de bien dans la souffrance, c'est qu'elle était un fantôme, on passait son temps à lui courir après, on croyait toujours qu'on allait l'atteindre et se jeter dedans et souffrir un bon coup en serrant les dents, mais au moment où l'on y tombait, elle s'échappait, on ne trouvait plus qu'un éparpillement de mots et des milliers de raisonnements affolés qui grouillaient minutieusement: "Ça bavarde dans ma tête, ça n'arrête pas de bavarder, je donnerais n'importe quoi pour pouvoir me taire." Il regadra Boris avec envie; derrière ce front buté, il devait y avoir d'énormes silences

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